Karine est la fondatrice des Enfants nomades (Ateliers et kits créatifs pour adultes et enfants). Avec d’autres entrepreneuses locales, elle mise sur la solidarité et le réseau pour faire face au défi du reconfinement.
L’isolement était la principale difficulté rencontrée lors du premier confinement. Et c’est justement par la solidarité que Karine et les entrepreneuses de son territoire ont décidé de conjurer le reconfinement !
Bonjour Karine, comment s’était passé pour toi le premier confinement (et déconfinement) ?
En début d’année, ma principale activité était l’animation d’ateliers. Je venais de démarrer en janvier un programme hebdomadaire pour adultes et pour enfants pour lequel j’avais bouclé le planning jusqu’à juin. J’avais investi dans mon matériel…
Au début du premier confinement, j’ai été abattue, sidérée. On ne savait pas si ni quand on allait pouvoir reprendre une activité normale.
En avril, j’ai commencé à concevoir un nouveau projet: faire mes ateliers à emporter. J’ai analysé comment m’y prendre avec le peu de trésorerie que j’avais. Début mai, j’ai compris que le lieu où je faisais mes ateliers ne pourrait plus m’accueillir. J’ai retroussé mes manches et mis mon projet à exécution.
Au 1er juin, j’ouvrais ma boutique en ligne. La semaine d’avant l’ouverture, je m’étais mise en relation avec l’association Crea Terra – Rassembleur de talents, dont l’objet est de promouvoir les artisans-créateurs et les petits producteurs qui en sont membres. Le 5 juin j’ai fait, grâce à elle et ses dirigeants dynamiques et solidaires, un premier pop-up store aux côtés de 6 autres créatrices. Mes ateliers à emporter ont plu et convaincu alors j’ai continué. Tout l’été, j’ai fait les marchés de créateurs du coin afin de récupérer de la trésorerie pour pouvoir poursuivre. Ça a sauvé mon entreprise.
Comment s’est déroulée la rentrée ?
J’ai fini mon dernier pop-up store le 28 août. Dès la première semaine de septembre j’ai reçu des demandes pour les marchés de Noël et de lieux pour animer mes ateliers. Il a fallu tout anticiper : créer un projet d’animation (adultes et enfants) pour les lieux d’accueil et aussi réfléchir à ces marchés de Noël.
Faire les marchés de noël, ça se réfléchit bien : combien investir dans les emplacements et le matériel pour créer mes kits en nombre suffisant ? Combien de temps consacrer à la production ? Quelle prise de risque accepter, étant donné qu’on entendait déjà parler de la deuxième vague…
Le premier confinement m’a appris à profiter du moment présent et à prendre toutes les opportunités qui se présentaient. Bref j’ai pris le risque : la créatrice est quelqu’un de très optimiste 😉 ! J’ai commencé la production en octobre pour un premier marché de noël mi-novembre.
J’ai animé des stages pour enfants pendant toutes les vacances de la Toussaint, je produisais mes kits entre deux ateliers… J’ai donné mon dernier atelier le jeudi 29 octobre, lendemain de l’annonce du reconfinement. En fait depuis début mai, je n’ai pas arrêté de bosser, week-end inclus. Et là, le 28 octobre, on apprenait que tout s’arrêtait à nouveau.
Comment as-tu réagi à cette annonce du reconfinement ? As-tu tout de suite trouvé l’énergie et le ressort pour rebondir ?
On s’y attendait mais depuis quelques jours seulement. Je croisais les doigts et j’espérais fort pour que l’annonce concerne un couvre-feu plus tôt. Le mercredi soir, je t’avoue que j’ai ressenti beaucoup de lassitude : tellement d’investissement pour peut-être rien …
Et puis le lendemain, le jeudi 29 octobre, j’animais mon dernier atelier chez Wicked Wool, un concept store qui vend de la laine et organise cafés tricot et ateliers. Cela m’a reboostée! J’ai vécu ce dernier atelier à fond et en pleine conscience. Les créations des enfants ce jour là étaient magnifiques et pleines d’espoir.
Barbara, la gérante, était déjà en marche pour mettre en place des projets à distance autour de la laine. C’est en discutant avec elle que je me suis dit qu’il fallait que je trouve des points de réception pour mes kits.
Comment la solidarité s’est-elle mise en place à l’annonce du reconfinement ?
Depuis juin, j’était restée en contact permanent avec l’association Crea Terra (74), dont je suis membre. La cotisation annuelle est de 10 € : clairement le but de cette association n’est pas de se faire de l’argent! La sélection des membres étant basée sur les valeurs de solidarité et de bienveillance, la communication entre membres est donc simple et chaleureuse.
Cette association a été créée par deux artisanes : Stephanie Jefford (Une maille à la fois), qui teint ses laines avec des végétaux, et Sandrine Lintz (Adelie et Cie), artisane cirière (elle produit des bougies). Elles ont ouvert en septembre la boutique-atelier Maison Elles etc. avec le créateur de cosmétiques naturelles Hugo Duthu (Les empreintes made in Léman).
Cet été, les événements habituels ayant été annulés, ils ont mis en place avec une mairie, un marché de créateurs auquel j’ai participé chaque semaine. Depuis le premier pop-up store en juin jusqu’au dernier marché de l’été, j’ai pu faire connaissance avec les autres membres. Ce marché était vraiment agréable à faire car il y régnait déjà une grande solidarité.
En rentrant chez moi, le jeudi 29 donc, je les ai contactés pour voir comment mettre en place des points de retrait. Ils y réfléchissaient déjà ! Nous savions tous qu’il fallait réagir vite.
Qu’avez-vous mis en place concrètement ?
Le lendemain matin, nous avons fait une réunion pour voir comment mettre en place tout ça. Barbara, de Wicked Wool, était là elle aussi et m’a proposé d’être point retrait également. Tout le réseau s’est mobilisé pour trouver, en quelques jours, différents points de click and collect.
Certains, comme Ancor Bijoux, qui a sa propre boutique en centre-ville, se sont proposés spontanément d’être point de retrait pour les créateurs locaux. Le week-end, nous avons tous mis nos produits en ligne (merci le premier confinement, l’outil était déjà opérationnel !).
D’autres réseaux ont proposés d’être point click and collect comme le Local – Collectif des possibles, un lieu de travail partagé et un lieu de vie ouvert au public. C’est aussi un réseau qui a pour vocation l’entraide entre jeunes créateurs et entrepreneurs locaux et la promotion d’un mode de vie plus durable par le partage des savoirs et des savoir-faire.
Ainsi, dès lundi la plupart d’entre nous étaient prêts ! Tout le monde a activé ses réseaux pour répandre la nouvelle et faire circuler l’information. Depuis les premières commandes sont arrivées : il y en pas mal en local, les points click and collect sont fonctionnels.
La situation sanitaire en France s’aggrave, on ne sait pas de quoi sera fait demain, ni combien de temps ça va durer. Alors on reste mobilisé et aujourd’hui nous avons réfléchi à comment mettre en avant les membres de l’association pour les faire plus connaître du public.
Nous allons faire des portraits pour mettre en valeurs les artisans, producteurs (vin, miel, poissons etc) et créateurs qui la composent. La phrase qui circule en ce moment c’est “ensemble on est plus fort”… On espère que notre élan atteindra les gens et qu’ils préfèreront acheter local pour leurs cadeaux de Noël.
Quel regard portes-tu sur cette aventure collective ?
Ce deuxième confinement me montre une fois de plus que la solidarité l’emporte. À faire les choses dans son coin, à craindre une hypothétique concurrence, aujourd’hui ça ne marche pas. La force de l’association Créa Terra c’est de rassembler les talents et de dire dès le départ : ici il n’y a pas de concurrence, nous sommes tous complémentaires et si chacun fait attention à ne pas marcher sur les plate-bandes des autres, ensemble on sera plus forts.